Oser le plurivers.

 

Pour une globalisation

interculturelle et responsable

 

Paris, Connaissances et savoirs, 2014, 214 p

 

 

Christoph Eberhard

 

 

 

 

 

Sommaire

 

 

 

 

 

 

 

Introduction – Oser le plurivers                                                                                                                           

                                                                                   

Chapitre 1 : De lunivers au plurivers. Fatalit, utopie, alternative ?

                                  

Chapitre 2 : Le cheminement pluraliste                                                                             

 

Chapitre 3 : Le juriste face au plurivers de la gouvernance                                                

 

Chapitre 4 : Les enjeux de la participation                                                                        

 

Chapitre 5 : Les politiques publiques face au dfi du dialogue                                          

 

Chapitre 6 : Au-del de luniversalisme et du relativisme : Les droits de lhomme           

 

Chapitre 7 : Au-del des droits de lhomme ?  Dialogue avec le monde bouddhiste         

 

Chapitre 8 : Redcouvrir la responsabilit dans le dialogue interculturel                          

 

Chapitre 9 : Balises dun cheminement dialogal et pluraliste                                            

 

pilogue: Le Tao du dialogue                                                                                             

 

 

Bibliographie                        

 

 

Introduction – Oser le plurivers

 

 

 

 

 Le Tao qui peut tre exprim

nest pas le Tao ternel.

Le nom qui peut tre nomm

nest pas le Nom ternel.

 

Lindicible est lՎternellement rel.

Nommer est lorigine

de toutes choses particulires.  (Lao Tseu 2010 : 1)[1]

 

 

 La seule chose qui vaut la peine dՐtre dite, cest celle qui ne peut pas tre dite. Et justement parce quelle ne peut pas tre dite, il vaut la peine dessayer de la dire.  Ce sont ces belles paroles de sagesse que Robert Vachon[2], ancien directeur de lInstitut Interculturel de Montral et fondateur et directeur de sa revue Interculture partagea avec moi lors dun bel entretien Montral en aot 2009[3]. Ces mots furent ceux de Raimon Panikkar, grand philosophe de linterculturel qui a ddi sa vie au dialogue interreligieux entre hindouisme, bouddhisme, christianisme et scularisme et plus largement un clairage interculturel de nos dfis contemporains[4]. Robert Vachon les avait recueillis il y a quelques dcennies, lors dune confrence du dernier lUniversit de MacGuill Montral et elles sont devenus le programme pour toute sa vie. Au vu du commencement du Tao Te King, texte plusieurs fois millnaires lorigine du taosme et cit en exergue de cet ouvrage, ceci parat aller de soi. Le pluralisme nest-il pas ce jaillissement perptuel dans une myriade de formes de ce qui est au del de la forme ? Sintresser au pluralisme, souvrir lui, nest-ce pas embrasser, goter, savourer, vivre ces diffrentes formes, tout en tant conscients quelles sont lexpression dune ralit qui ne pourra jamais sy puiser ?

 

Rien dՎtonnant donc, que ces mots raisonnent pour moi qui parcours depuis des dcennies les chemins du pluralisme. Ils raisonnent par rapport mon cheminement de recherche personnel et par rapport mes engagements collectifs. Ils raisonnent plus particulirement au moment de partager maintenant quelques apperus de mes trouvailles travers des mots si ncessaires, si beaux et inspirants et en mme temps si limits.

 

Robert Vachon, aime dire que  Lautre nest pas un vide remplir. Cest une plnitude dcouvrir.  Cette intuition est devenue lhorizon dans lequel je minscris. Elle minspire me rappeler et rappeler aux autres que :  La vie nest pas un vide remplir. Cest une plnitude dcouvrir.  [5] Une telle dcouverte ne peut se faire seule. Elle nest possible que dans le dialogue avec les autres, notre environnement, les aspects de nous-mmes que nous ignorons. Elle ncessite une dmarche intrieure personnelle, des changes interpersonnels, des explorations transpersonnelles et aussi une traduction des intuitions ainsi glanes dans nos modes de vie individuels et collectifs.

 

Oser le plurivers, cest tout dabord oser souvrir la vie. Cest une dmarche existentielle. Mais ce nest pas alors – comme certains pourraient le supposer – une dmarche purement individuelle. Bien au contraire ! Nous nexistons pas sparment des autres – humains et non-humains – , du monde, de nos histoires, de nos cultures, de nos contextes politiques, conomiques, juridiques, sociaux, des dfis qui se posent nous. Oser le plurivers cest souvrir nous-mmes tout en insrant cette ouverture dans une ouverture plus large au monde dans lequel nous vivons. Cette ouverture nous invite repenser notre globalisation, cette condition humaine nouvelle que nous partageons depuis quelques dcennies et qui pourrait se traduire par la conscience et la ralit de plus en plus accrue que sur notre plante nous sommes tous lis. Nous sommes tous unis dans une mme aventure et ceci dans toutes nos diffrences ! Mais alors comment oser souvrir un vivre ensemble qui sinscrit dans un horizon de partage ancr dans la complmentarit de nos diffrences ?  Comment dialoguer entre nous ? Comment nous rpondre mutuellement ? Comment dgager des horizons de sens nouveaux ? Comment les traduire dans des montages juridiques, politiques, institutionnels, en de nouvelles mises en forme de notre vivre ensemble ? Comment oser  lAutre , le pluralisme ? Comment oser nous ouvrir la vie, cette vie qui est transformation permanente et qui nous confronte constamment nos limites, tout en rvlant nos potentialits caches, individuelles et collectives ?

 

 

Notre monde change. Les reprsentations que nous en avons et les manires dont nous y vivons et comment nous le faonnons changent. Un nouvel horizon merge progressivement : celui du pluralisme et de linterculturalisme (Vachon 1997). Nous commenons le percevoir diffusment. Mais pour que cet horizon puisse sactualiser, encore doit-il tre dit, reconnu, mis en action[6]. Cest en pointant vers lui, que petit petit il peut se dcouvrir. Aborder le nouvel horizon du pluralisme nest pas chose aise. Non seulement il nous chappe, mais il remet aussi fondamentalement en cause nos habitudes de pense modernes. Oser se lancer dans linconnu pour le percevoir, puis oser tenter de dire cet indicible au risque dՐtre dstabilis et incompris nest pas une mince affaire. Quitter lunivers qui nous est familier et cheminer vers le plurivers qui se dresse lhorizon est difficile. En mme temps, cest un priple trs enrichissant, voire mancipateur. Oser le plurivers constitue nos yeux un enjeu contemporain majeur pour aborder la globalisation contemporaine de manire interculturelle et responsable.

 

Dans la prface la deuxime dition de mon ouvrage Le Droit au miroir des cultures. Pour une autre mondialisation (Eberhard 2010 : 11-12) dans la ligne duquel sinscrit le prsent ouvrage, tienne Le Roy soulignait que  () pour rendre compte de lactuelle complexit des phnomnes sociaux, il faut rapprendre penser de manire plurale (et non unitaire) la pluralit. La notion de plurivers peut nous y aider en proposant un cadre, donc une rfrence possible lintgralit, tout en postulant que certaines ralits peuvent tre penses comme multiples, spcialises et interdpendantes selon une dfinition emprunte nos travaux africanistes. Car il faut toujours rendre compte  de lunit de la nature humaine dans la diversit de ses rponses pour reprendre une formule ci-dessus. Enfin, au principe de lenglobement du contraire dont Louis Dumont nous dit quil est au fondement de lidologie moderne, on devra substituer le principe homomorphe de la complmentarit des diffrences pour illustrer la compatibilit dexpriences qui seraient au contraire tenues, selon une certaine logique, pour contradictoires. Comme on le constate, les questions abordes sont immenses et supposent une collaboration lՎchelle mondiale, ce que souhaite vivement  notre auteur. Ainsi pourrait-on conclure cette prface par deux appels. Le premier, emprunt une affiche de larme coloniale franaise (une fois nest pas coutume), nous invite  multiplier nos expriences  dans larme de rserve de la recherche engage : Engagez-vous, rengagez-vous, vous verrez du pays.  Le second serait le prolongement de mai 1968 : ce nest quun dbut, continuons le combat, un combat contre le racisme et en faveur de la comprhension entre les peuples dans le respect de leurs juridicits singulires, pour retrouver comment vivre ensemble dans la diversit de nos cultures. 

 

1. Oser penser autrement

 

On raconte quun jour le Mulla Nasrudin voyageait en bateau lorsquune tempte se leva. Sa petite embarcation fut rapidement dborde par le dchanement des lments et commena couler. Le capitaine et lՎquipage tentrent de sauver leur bateau. Ils se saisirent de seaux et commencrent frntiquement tenter de vider le bateau de toute leau qui sengouffrait de tous cts. Seul le Mulla ne cooprait pas. Non seulement il ne bougeait pas, mais il puisait de leau dans la mer et en remplissait le bateau. En le voyant, le capitaine linterpella :  Mulla, es-tu fou ? Que fais-tu ? Arrte ! Aide nous ! Nous allons couler !  Le Mulla rpondit :  Ma mre ma toujours appris de me mettre du ct du plus fort. 

 

Voil ce qui pourrait tre une belle mtaphore de notre situation contemporaine. Le bateau – notre organisation du vivre ensemble – prend leau de tous cts. Et pourtant, sommes-nous si diffrents du Mulla Nasrudin ? Si son action parat folle, nagissons nous pas de mme en tentant cote que cote de nous mettre du ct du plus fort, du systme tel quil existe, mme sil est mortifre ? Noserions nous pas nous ouvrir vritablement tous les enjeux contemporains ? En refusant de le faire, nalimenterions nous pas ce qui risque de nous mener au naufrage ? Je ne suis pas trs port sur les prophties de malheur. Cependant, un peu de  catastrophisme clair  (Dupuy 2002) pourrait tre utile pour nous veiller limportance dexplorer des alternatives pluralistes et responsables du vivre ensemble (voir Panikkar 1982).

 

Jexplore depuis deux dcennies, seul et avec dautres, des manires alternatives denvisager notre vivre ensemble. Mais, quel paradoxe ! Alors que limportance de cette dmarche ne cesse de saffirmer, les moyens pour la mener bien et pour explorer et mettre en uvre lesdites alternatives se rduisent vue dil. Lanne 2012 a ainsi t marque par la fermeture des portes de quelques compagnons de route et non des moindres : lInstitut Interculturel de Montral, le International Council on Human Rights Policy Genve et lassociation Juristes Solidarits Paris ont tous du fermer leurs portes en 2012, aprs des dcennies de travail extrmement pionnier et important Les fondations et agences de financement nont plus dargent pour les projets  alternatifs , les universits se recentrent sur des  fondamentaux , des cours et recherches rentables et bien cadrs. La recherche fondamentale et les explorations aux marges sont abandonnes. Or – lhistoire des sciences la montr – ce sont elles qui cristallisent les ruptures pistmologiques et font merger de nouveaux possibles[7]. Cest le syndrome pingl plus haut par le Mulla Nasrudin : la crise financire se dchane, et quelle est notre rponse ? Nous fermons petit petit tous les lieux qui pourraient permettre de repenser un vivre ensemble sur dautres bases. Nous avons fondamentalement peur de nous ouvrir la vie, au monde dans lequel nous vivons. Nous nous accrochons des certitudes et notre instinct de survie, dans ce quil peut avoir de plus goste. Heureusement, la vie est faite de cycles et il est prvoir que des priodes plus fastes et plus ouvertes aux explorations suivront. La question de louverture de nous-mmes nos vies individuelles et collectives restera nanmoins toujours dactualit.

 

En cette priode de transition, un enjeu est primordial : celui dun certain courage existentiel. Osons-nous nous ouvrir laltrit et au changement ?

 

Un jour, quelquun trouva le Mulla Nasrudin quatre pattes sous un lampadaire.  Mais que fais-tu, Nasrudin ? , demanda son ami.  Je cherche la clef de ma maison.   Mais o las tu perdu exactement ?   Dans ma maison.   Mais alors pourquoi la cherche tu ici ?   Parce quil y a plus de lumire ici que dans ma maison. 

 

La tentation est grande daborder et de vouloir comprendre les situations qui se prsentent nous et de trouver des solutions aux problmes quils posent travers nos cadres mentaux, nos thories, nos paradigmes, nos manires de faire dj tablis. Comme ils ont fait leur preuve par le pass, nous sommes convaincus quils seront aussi la hauteur du futur. Mais est-ce ncessairement le cas ? Ne serions-nous pas en train de vivre une poque de changement paradigmatique comme le soutiennent de nombreux auteurs depuis des dcennies ? Une poque o la complexit (voir par exemple Morin 1995), le pluralisme et linterculturalisme (Vachon 1997) mergeraient comme nouveaux horizons ? Une poque o nous nous orienterions vers des approches  post-  ou  transmodernes , o nous quitterions notre univers familier pour un plurivers qui reste dcouvrir ?

 

Le courage ncessaire cette mutation, ce voyage, est au minimum triple : il comporte des dimensions intrapersonnelles, interpersonnelles et transpersonnelles.

 

Au niveau intrapersonnel, le courage consiste en un dsarmement existentiel : admettre que nos  armes , nos outils de comprhension du rel ne sont peut-tre plus tout fait adquats. Il faut savoir les dposer pour pouvoir envisager les situations dun nouveau point de vue. Continuer creuser un puits l o il ny a pas deau peut sembler logique, voire invitable, lorsque lon a mis en place toute une infrastructure et quil faut la justifier. Ceci est dautant plus vident que nous sommes conscients quel point linfrastructure de nos approches du rel constitue en grande partie ce que nous sommes. La remettre en cause, cest oser une crise existentielle. Comme aime le dire Robert Vachon propos de la rencontre interculturelle – porteuse de ce genre de crise lie la rencontre avec laltrit :  Le dialogue interculturel est crucifiant, mais librateur.  Mme si cela est crucifiant, dans certaines situations, renoncer tout loutillage mis en place et oser creuser ailleurs peut se rvler non seulement librateur, mais aussi tout simplement vital.

 

Au niveau interpersonnel, le courage merge dans la solitude des choix quil impose : en explorant des voies hors des sentiers battus, en se situant la marge de lopinion majoritaire, on se retrouve trs vite marginalis. Au mieux est-on peru comme un doux rveur, dconnect des ralits de la vie, mais inoffensif dans ses rveries. Au pire, on apparat comme un dangereux anarchiste, voire comme un terroriste qui voudrait saper ou faire exploser les soubassements de ce quun groupe donn considre comme ses fondements. On raconte quՈ une poque lointaine, les astrologues de la cour prvinrent leur roi quune pluie magique allait sabattre sur son royaume : leau serait contamine et tous ceux qui en boiraient deviendraient fous. Le roi dcida de prendre des mesures : il fit collecter de leau et lentreposer dans le palais, afin de pouvoir garder lesprit sain pour gouverner son royaume. Puis il plut. Aprs quelques jours, toute leau du royaume, sauf celle entrepose par le roi, tait contamine, et il ne fallut pas longtemps pour que tous les sujets du roi devinrent fous. Plus personne ne comprenait le roi. Tous considraient que cՎtait lui qui tait devenu fou ! Que faire ? Aprs des journes dhsitation, le roi se rsolut boire lui aussi leau empoisonne. Pour pouvoir jouer son rle, il devait tre un fou parmi les fous Devons-nous suivre son exemple ?

 

Garder sa perspective malgr tous les problmes que cela cause et le faire de manire cohrente et continue sur de longues annes, continuer essayer de partager ses dmarches, ncessite un certain courage, une alimentation par ce que nous ressentons profondment, du fond de notre cur.

 

LՎtymologie du mot  courage  nous invite couter notre cur et agir en consquence. Quelle belle inspiration ! Elle nous invite au-del de ses dimensions intra- et interpersonnelles une dimension transpersonnelle : souvrir – sans pour cela renoncer notre enracinement humain – nos sentiments, notre intellect la dcouverte dune  confiance cosmique  (Panikkar 1993 ; Vachon 1985), une confiance dans la vie non pas comme vide remplir mais comme plnitude dcouvrir. Or, la plnitude de la vie ne pourra commencer se rvler que sous la forme dalternatives la vie que nous connaissons – oser la vie implique donc oser les alternatives[8], premire tape vers lenracinement dans le plurivers !

 

Oser les alternatives

 

Alternatives. Alter : lAutre – qui nexiste quen relation nous-mmes. Alternatives au pluriel, et non pas  alternative  au singulier comme il serait plus juste grammaticalement parlant[9]. Car, des autres, il y en a une multitude, et leur dcouverte nous rvle le pluralisme sous-jacent de la ralit. On posa la question suivante au Mulla Nasrudin :  Mulla, o se trouve le centre du monde ?   Cest l o est attach mon ne , rpondit Nasrudin. Le centre du monde est pour chacun dentre nous cet endroit o nous avons nos affaires, notre vie. Nous sommes donc tous des centres du monde. Il ny a pas, de ce point de vue, de marges, dalternatives. Marges et alternatives apparaissent toujours par rapport un point de vue dominant, que ce soit le ntre titre personnel ou quil se situe sur un plan collectif, ce que les anthropologues appellent alors lethnocentrisme.

 

Lenjeu du passage de lunivers au plurivers est de souvrir ce pluralisme radical sans tenter de le rduire une unit (Panikkar 1990). Cela ne signifie pas embrasser le chaos, mais plutt souvrir au cosmos, la beaut de la parure[10] de la ralit, cette dernire tant un mystre au-del des limites de sa manifestation. On notera que le Mulla Nasrudin na pas rpondu que son ne tait le centre du monde, mais que le centre du monde tait l o tait attach son ne. Nos personnalits multiples sont toutes rattaches , ou sont une manifestation de, ce que certains appellent la  nature humaine , dautres le  christ en chacun dentre nous , dautres encore la  nature de bouddha  inhrente tout tre Comme le dit un proverbe de sagesse :  Dieu est une sphre dont la circonfrence est partout et le centre nulle part.  On peut remplacer, dans ce proverbe,  Dieu  par le  mystre  : cette libert fondamentale de nos existences qui nous caractrise et nous lie, et qui se dcline en une myriade dexpressions. Selon notre conscience, notre centre du monde en sera un qui est li tous les centres du monde, si nous arrivons nous relier ce que nous sommes au niveau le plus profond ; ou alors il sera plus limit correspondant au masque que nous portons un moment donn pour jouer un rle donn[11].

 

Dans le cadre de nos recherches, les alternatives ont toujours t prsentes par rapport un cadre donn : la vision du monde moderne telle que reflte dans les sciences modernes occidentales et les organisations modernes du vivre ensemble. Ce point de dpart nest pas sans poser problme. Le fait de toujours poser les questions en partant de notre topos, de notre enracinement culturel, peut rendre de vritables dcouvertes difficiles voire impossibles. Les tres humains, les cultures, ne se limitent pas donner des rponses diffrentes aux mmes questions. Ils posent aussi des questions fondamentalement diffrentes – et ceci dans des langues et visions du monde o la traduction dun univers de sens dans un autre est loin daller de soi et relve plutt dune sensibilisation rciproque des fentres diffrentes sur la vie. Il est primordial de reconnatre la pluralit des fentres et le fait que lon ne peut vraiment apprcier la vision quune fentre offre quen regardant travers celle-ci[12] !

 

Dans le domaine des sciences sociales, la qute dalternatives a men Boaventura de Sousa Santos a proposer de sengager dans une htrotopie, dans la redcouverte du monde dans lequel nous vivons en dcentrant notre regard du centre vers les marges, des centres de pouvoir vers ce qui apparat marginal partir de ce centre (1995 : 479 ss). Ce travail la men sinterroger sur la redcouverte et la valorisation des  savoirs des Suds  (2007 ; 2008). Cette approche fait cho celle mise en uvre par lInstitut Interculturel de Montral pendant presquun demi-sicle et qui est reflte dans sa revue Interculture et le rseau INCAD, International Network to Cultural Alternatives to Development, quil a anim[13]. Ce travail fait aussi cho aux appels dEdgar Morin pour une pense complexe, qui devra non seulement sajouter nos outils de connaissance mais aussi contribuer les refaonner profondment (1995 : 237-238). En effet, lune des intuitions de la pense complexe se rattache la redcouverte dune approche holiste de la ralit, qui ne se ferait pas au dpens des parties composant le tout. Il sagit donc de repenser – comme y invite la pense classique indienne de ladvaita, de la non-dualit – les relations du Tout avec les parties qui le composent.

 

La vie est une. Notre effort de la comprendre a men la diviser en diffrents domaines. Les diffrentes sciences en ont merg. Malheureusement, ce foisonnement de dmarches de connaissance a petit petit pris le chemin de lhyperspcialisation. Ceci a conduit ce que larbre dune discipline donne ait souvent contribu loccultation de la fort de la vie. Il est important de renouer avec des approches plus globales qui se nourissent des diffrentes disciplines et de dialogues interdisciplinaires. Mais mme ceci nest pas suffisant sans une ouverture corollaire aux autres cultures et systmes de savoir que les modernes et leur mise en perspective et enrichissement mutuels dans le dialogue interculturel[14].

 

Comme lillustrent les nombreuses dmarches de dconstruction postmodernes, la pluralisation des rfrences ne signifie pas ncessairement mancipation de lunivers o elles senracinent. Aprs tout, le postmodernisme ne fait sens que par rapport la modernit. un certain niveau, une dmarche uniquement postmoderne reste enracine dans le cadre englobant de la modernit si elle nest pas complte, mise en questions, nourrie, par une dmarche interculturelle. Si nous ne voulons pas rester enracins dans nos questions et nos problmatiques, le corollaire du dialogue interculturel pour nous ouvrir aux questionnements et aux problmatiques des autres est incontournable.

 

En situation interculturelle, relativiser et ouvrir notre conception du Droit, de lՃtat de Droit, des droits de lhomme, de la gouvernance, du savoir, voire du dialogue interculturel mme nest quune tape. Il faut aussi oser souvrir des expriences parfois radicalement diffrentes des ntres. Ainsi, dans le cadre juridique, Robert Vachon (2003 : 35) soutient qu  Il faut sortir lՎtude du pluralisme juridique du seul cadre occidental unitariste dans lequel elle se trouve emprisonne. Or cela est impossible aussi longtemps quon naura pas pris conscience de la situation diatopique dans laquelle lhumanit se trouve aujourdhui. () Il existe en effet, travers le monde, non seulement plusieurs variantes, modalits et applications de ce que lOccident nomme le droit, mais plusieurs systmes, ou mieux, cultures juridiques, dont les diffrences ne sont pas simplement procdurales mais se situent au niveau substantiel, savoir au niveau profond de leurs postulats respectifs. Diffrences si radicales quon pourrait mme dire  quil ny a plus rien danalogue entre elles. Ce sont des cultures juridiques homomorphes, cest--dire si substantiellement diffrentes au niveau de leurs natures mmes et de leurs postulats, quon ne saurait parler que dՎquivalences fonctionnelles entre elles. [15] Robert Vachon (1992 : 11) ne manque pas de souligner que  Lexercice de souvrir une culture politique radicalement diffrente est difficile et drangeant ; il exige que lon devienne profondment vulnrable. Mais il peut aussi, par le fait mme, tre une exprience trs libratrice et rvlatrice de notre propre culture occidentale. 

 

Ce nest quen prenant le pluralisme au srieux, lintrieur de la tradition occidentale ainsi quen relation avec dautres traditions humaines, quil est possible dinstaurer une dynamique de gouvernance non-hgmonique et vritablement cosmopolite. Mais quel en serait lhorizon ? Le  plurivers  ? Nous ne sommes quaux balbutiements dune rinvention des gouvernances contemporaines. Comprendre le pluralisme de ses fondements pour pouvoir mettre en uvre des dmarches vritablement participatives de notre vivre-ensemble est un enjeu majeur qui ne pourra dploier toute sa porte que dans le contexte plus vaste de lhorizon mergent du pluralisme et de linterculturalisme de la ralit.

 

  Si le dfi de la pluralit cest de faire et dՎtablir lunit malgr les diffrences, dimaginer une socit cohrente etc., le dfi du pluralisme cest aussi de vivre lharmonie dans et cause des diffrences et de maintenir la cohsion et lՎquilibre organique, sans exiger quil y ait toujours pour cela cohrence et unit.  nous dit Robert Vachon (1997 : 9).  Cest leffort suprme de composer avec la diversit sans abandonner lidentit, en ayant soin daborder cette dernire non pas ncessairement et toujours comme lunit intelligible des lments ou facteurs pluriels qui constituent soit mon tre, soit ma personne ou communaut ou culture (lidentification), mais comme la conscience que ces lments ou facteurs appartiennent ensemble. Lidentit quelle quelle soit, ne saurait tre rduite aux interprtations quon en a ou quon peut en avoir. (...) Le pluralisme nous amne reconnatre quil peut y avoir plusieurs centres dintelligibilit v.g. que le logos nen est pas lunique mais quil y a aussi le mythos ; quՈ part le monde des concepts et des objets il y a aussi le monde des sujets et des personnes. De plus, il nous amne reconnatre quil ny a pas de ncessit ou mme de convenance que la ralit soit rduite un seul centre dintelligibilit valeur universelle. Il va mme jusquՈ nous aider reconnatre que la ralit na pas ncessairement tre intelligible. Cela quivaut un appel la confiance cosmique, i.e. la conviction, croyance, mythe ( laccep­tation, lexprience, au postulat) que la ralit est lultime terrain que nous ayons pour trouver sens quoi que ce soit.  (Vachon 1997 : 9-10).

 

La rupture pistmologique est profonde. Elle nous oblige nous aventurer bien au del des sentiers battus dune  raison paresseuse  et dune  pense abyssale  (voir de Sousa Santos 2004 & 2007).

 

Au-del dune  raison paresseuse  - Enjeux pistmologiques de lenracinement dans le plurivers

 

Il y a un danger dans notre voyage vers le plurivers : ne contempler ce nouvel horizon quՈ travers nos anciennes illres. On risque alors de glisser vers un nouvel universalisme qui sous couvert de reconnaissance des  diversits  ne les ordonnerait finalement quՈ partir de son propre point de fuite, partir de la vision que lui offre sa propre fentre sur le monde. Ouvrir plus grandement sa fentre travers les changes avec dautres fentres sur le monde est certes bienvenue – mais il ne faudrait pas en venir oublier que cet effort et cet enrichissement ne font pas disparatre les autres fentres et leurs perspectives. Si un universalisme oppresseur qui nie les diffrences est problmatique, un universalisme syncrtiste rencontre lui aussi des limites dans sa qute – parfois inconsciente – de rduire la diversit lunit, ou du moins de lordonner travers un cadre unifiant[16]. On peut aussi glisser vers un relativisme irrductible : puisquil y a une pluralit de fentres et que lon ne saurait ultimement rduire aucune subjectivit une autre, il ny aurait alors quun archipel de mondes tous indpendants dans leur isolement rciproque. On nierait alors la relationalit du plurivers. Oui, il y a une multitude de fentres ! Mais celles-ci sont interdpendantes ! Le plurivers reconnat lunit ET la diversit, ensembles. Cest cette ralit non-dualiste que Robert Vachon et Raimon Panikkar dsignent par  pluralisme  (voir plus particulirement Panikkar  1990 ; Vachon 1997 et 1995b).

 

Comme il la t dvelopp dans de nombreux travaux, la condition primordiale est dapprendre manciper nos approches du paradigme de la Raison moderne. Il ne sagit pas de rejeter cette dernire, mais de prendre conscience des dichotomies inconscientes quelle nous a pouss laborer de manire plus ou moins consciente et qui voilent notre perception du plurivers. Cette prise de conscience permettra ensuite de complter nos approches  scientifiques modernes  par dautres formes de savoir avec lesquelles il faudra apprendre entrer en dialogue. Raimon Panikkar a dvelopp une distinction importante entre approches dialectiques, qui se droulent lintrieur du cadre de la Raison, du logos, et approches dialogales qui prennent en compte nos horizons implicites dintelligibilit, nos mythoi, et se rvlent ainsi plus aptes au dialogue entre systmes de savoir enracins dans des prmisses diffrentes. Ayant largement approfondi les approches dialectiques et dialogales et leurs enjeux dans de prcdents travaux, et comme nous y reviendrons succinctement au cours des dveloppements de cet ouvrage lorsque le besoin sen fera sentir, je nen dirai pas plus ici[17].

 

Nous attirerons par contre lattention du lecteur sur ce que Boaventura de Sousa Santos (2008) a qualifi dans des travaux rcents comme lenjeu de sՎmanciper dune  Raison paresseuse  et dune  pense abyssale  si nous voulons nous donner les moyens daller  au-del des pistmologies du Nord  comme nous y invite la situation globale contemporaine, ou pour nous orienter vers le  plurivers  pour reprendre la terminologie qui structure cet ouvrage. Pour Boaventura de Sousa Santos, la Raison moderne mne un gchis dexpriences, puisquelle ferme dune part les yeux sur une partie des ralits existantes parce quelles ne rentrent pas dans ses cases, et dautre part parce quelle ne permet pas de soutenir certaines tendances pour le futur car elles ne paraissent pas comme pertinentes lintrieur de son systme de rfrence. Lauteur propose ainsi de dpasser la  raison paresseuse  qui ronronne dans ses cadres habituels afin de complter les approches modernes des sciences sociales par une  sociologie des absences  et une  sociologie des mergences .  Alors que la sociologie des absences tend le domaine des expriences sociales qui sont dj disponibles, la sociologie des mergences tend le domaine des expriences sociales possibles. Ces deux sociologies sont profondment lies car plus il y a dexpriences disponibles dans le monde, plus il y aura dexpriences possibles dans le futur. Plus vaste est la ralit crdible, plus vaste sera le champ des indices et des futurs possibles et concrets. [18] (de Sousa Santos 2004 : 176 ; voir aussi de Sousa Santos 2006).

 

 

Cette dmarche ncessite de prendre conscience que la Raison moderne na pas seulement tendance fonctionner de manire dichotomique, selon le principe de lenglobement du contraire dgag par Louis Dumont, comme nous le rappelait tienne Le Roy dans la citation au dbut de cette introduction[19], mais quelle se fonde aussi sur le fait de rendre invisible certains aspects du Rel en les excluant de son champs. Il est utile de rappeler que toute connaissance est relative et est concordante avec une certaine ignorance (voir de Sousa Santos 1995). Connatre certaines choses implique une perspective particulire qui clairera certaines ralits tout en plongeant dautres dans lombre. La critique est donc valable pour toute approche de savoir, pas uniquement le  savoir moderne  occidental. Si nous mettons laccent ici, avec Boaventura de Sousa Santos, sur les implicites de la Raison moderne, cest quen tant scientifiques europens nous en sommes profondment marqus et quil est donc important de lexpliciter pour pouvoir nous en manciper – ce qui constitue en mme temps une invitation pour des personnes enracines dans dautres traditions de faire une dmarche similaire partir de leur contexte. Ce sont l les fondements de vritables dialogues interculturels tels que nous les envisageons dans cet ouvrage.

 

 La pense moderne occidentale est abyssale.  nous dit Boaventura de Sousa Santos (2007 : 45)[20].  Elle consiste en un systme visible et invisible de distinctions, les distinctions invisibles constituant les fondations des visibles. Les distinctions invisibles sont tablies travers des lignes radicales qui divisent la ralit sociale en deux domaines, le domaine de ce ct-ci de la ligne et le domaine de lautre ct de la ligne. La division est telle que lautre ct de la ligne disparat comme ralit, devient non-existante, et est produite comme non-existante. Non-existant signifie nexistant pas dune manire comprhensible et digne dexistence. Toute chose produite comme non-existante est radicalement exclue parce quelle se situe au-del du domaine de ce que la conception accepte dinclusion considre comme son autre. Ce qui caractrise le plus fondamentalement la pense abyssale est limpossibilit de la coexistence des deux cts de la ligne. Dans la mesure o elle domine, ce ct-ci de la ligne domine en puisant le champ de la ralit pertinente. Au-del, il ny a que non-existence, invisibilit, absence non-dialectique.  (de Sousa Santos 2007 : 45-46)[21]. Il illustre cet tat de fait par une distinction quil a opr dans ses propres recherches sur le paradigme politique, juridique et scientifique moderne (de Sousa Santos 1995) : celui-ci lui semblait caractris par un jeu dialectique entre deux piliers : celui de la rgulation et celui de lՎmancipation. Seulement, derrire cette dichotomie se cache une deuxime. En effet, la dichotomie rgulation / mancipation ne fait sens que dun ct dune ligne invisible et dont la trac a rendu invisible ce qui se trouve au-del delle : la ligne entre socits mtropolitaines et socits colonises. On oublie trop souvent que la  modernit occidentale  sest largement construite en rapport avec lexprience coloniale europenne[22]. Or, on nՎclaire que rarement ce lien, car les colonies taient perus en quelque sorte  hors du monde . Boaventura de Sousa Santos (2007 : 46) souligne quil ne fait aucun sens dappliquer la dichotomie rgulation / mancipation dans les territoires coloniaux car ceux-ci taient soumis – du point de vue des puissances coloniales – une autre dichotomie : appropriation / violence. Et surtout, aveugls par la dichotomie structurant  notre monde , nous ne voyons plus lautre monde. Il devient invisible nos yeux[23].

 

Sophie Bessis (2003) illustre parfaitement cette division inconsciente, ce clivage entre deux mondes, pas si rarement intgrs par les anciens coloniss[24] eux-mmes, dans son interpellante introduction son ouvrage LOccident et les autres. Histoire dune suprmatie. En ouverture elle sinterroge sur les origines de sa dmarche intellectuelle et confie au lecteur que son ouvrage puisait peut-tre  () ses racines dans la cour du lyce Jules-Ferry, Tunis, au milieu des annes cinquante. Sous lantique prau, la rcration, les clivages nationaux ou communautaires ne baissaient pas la garde devant lapparent cumnisme des camaraderies enfantines. Il y avait les Tunisiennes, arabes ou juives presque confondues en face des Franaises, cette entit globale dont lhomognit transcendait les amitis particulires que lon pouvait nouer avec une de ses parties. Car les Franaises nous crasaient de leur mpris. Sans nous accommoder de leur arrogance, nous ne doutions pas, nous-mmes, de leur supriorit. Elles taient blondes dabord, avec des cheveux longs et raides dont elles pouvaient rejeter les mches en arrire dun geste lgant de la tte. Devant cette vision de nature proprement anglique, la contemplation masochiste des touffes noires et frises garnissant notre crne nous tait un inpuisable sujet de douleur.  (Bessis 2003 : 5). Pour lauteur, ces divisons plus ou moins conscientes sont loin davoir disparues. Son analyse fait cho celle de Boaventura de Sousa Santos sur la pense abyssale lorsquelle crit que  Le paradoxe de lOccident rside dans sa facult produire des universaux, les riger au rang dabsolus, violer avec un fascinant esprit de systme les principes quil en tire, et ressentir la ncessit dՎlaborer les justifications thoriques de ces violations. Le caractre plantaire de son hgmonie, la construction constante et obstine de sa justification, rige au fil des sicles en un appareillage culturel sophistiqu o luniversel est sans cesse convoqu : voil, on en conviendra, une double singularit qui mrite quon sy attarde.  (Bessis 2003 :10). Mais lenjeu ne consiste pas uniquement analyser  lOccident , mais de sinterroger :  Quelle est son ombre porte sur le reste du monde ? Comment faut-il lire les vnements qui se droulent dans ce quon appelle le Sud du globe, les idologies qui sy laborent, les discours quon y entend, les passions qui sy dchanent ? Sont-ils autant de ractions une domination moins accepte que jamais ? Quelle est, autrement dit, la place respective quil convient daccorder aux phnomnes ractifs et aux constructions autonomes dans lanalyse des volutions et des involutions des continents du Sud ? Et que faut-il penser de lintensit des expulsions rciproques auxquelles se livrent les protagonistes ingaux des rapports mondiaux actuels ? Peut-on percevoir du nouveau dans les relations que lOccident entretient avec le reste du monde, ou la seule rptition de lancien ?  (Bessis 2003 : 10).

 

Nous rajoutons ces interrogations celle de savoir quelles sont les conditions pour souvrir, dun point de vue juridique, politique et scientifique europen au plurivers dune mondialisation responsable et interculturelle ? Faut-il souligner que laspect critique de notre recherche – et donc fort inconfortable pour nos autoreprsentations – ne se veut pas une entreprise de dmolition ou de rabaissement de la  pense occidentale  ? Bien au contraire ! Ce sont la fidlit la pense critique et son lan duniversalit qui portent justement sinterroger sur lautre et sur des relations galitaires avec lui, comme le reflte le titre du Livre Blanc du Conseil de lEurope sur le dialogue interculturel, Vivre ensemble dans lՎgale dignit[25]. Mais, il sagit de le faire en apprenant souvrir davantage au dialogue interculturel avec des traditions de vie et de savoir enracines dans dautres imaginaires, dautres histoires et dautres contextes[26]. Selon les termes de Boaventura de Sousa Santos (2007 : 65), il faut sorienter vers une pense postabyssale qui  rsulte de lide que la diversit du monde est inpuisable et quune telle diversit na pas encore dՎpistmologie adquate.    En dautres mots, la diversit pistmologique du monde na pas encore de forme. [27] (de Sousa Santos 2007 : 65).

 

Mais, peut-tre sommes-nous les tmoins dun nouvel horizon mergent : celui du plurivers ?

 

 

Oser le plurivers

 

Nous venons de dlimiter les prmisses pour sortir de lunivers. Quelles sont les conditions pour pouvoir petit petit senraciner dans le plurivers ?

 

Nous avons point plus haut le danger dun possible glissement universaliste ou culturaliste de nos dmarches. Soulignons ici, sans dvelopper maintenant ce point en dtail[28], que dune part, le plurivers ne fait sens que si nous acceptons de ne pas rduire nos expriences humaines aux reprsentations que nous pouvons en avoir. Nos expriences ne se rduisent pas la pense et dfient donc en dernire analyse toute approche systmique. Dautre part, souvrir au plurivers, cest aussi reconnatre le pluralisme tous les niveaux de la ralit. Dans une rflexion sur limpratif interculturel dans la formation la gouvernance, Claire Launay-Gama et Michel Sauquet remarquent justement (2009 : 225), que  Si le monde est un archipel, form de peuples marqus par des traditions culturelles diffrentes que la globalisation na assurment pas effacs (dans certains cas, elle les rveille en contrepoint), chacune de nos socits est aussi un archipel. Du plus petit des territoires la plus mondiale des chelles, en passant par le dpartement, lՃtat ou la rgion, on trouve ce mme dfi de dialogue et de linteraction de personnes, de groupes ou dinstitutions dont les origines et les rflexes culturels sont diffrents. Et ce nest pas quune question de gographie. On se comprend peut-tre mieux entre mathmaticiens chinois, pruviens et franais que, dans notre pays lui-mme, entre narques et intermittents du spectacle, entre cadres dentreprise et responsables associatifs, entre groupements agricoles et syndicats de journalistes, entre lus municipaux et chercheurs en sciences sociales Ainsi tout processus de concertation territoriale, nationale ou internationale est-il un dfi profondment interculturel.  quoi il est important de rajouter le pluralisme de chacun dentre nous.

 

Amartya Sen (2007) dveloppe de manire trs convaincante la ncessit de cette prise de conscience dans son ouvrage Identity and Violence. Les approches  identitaires , quelles quelles soient, ont tendance nous figer dans un moule : nous sommes du  Nord  ou du  Sud , nous sommes laques, chrtiens, hindous, musulmans ou bouddhistes, nous sommes bourgeois ou proltaires, nous sommes riches ou pauvres, modernes ou traditionnels, asiatiques, europens ou africains etc. Or, ces approches sont rductrices et fort dterministes. Nous sommes tous des tres multiples et capables de choix. Sil est extrmement important dans nos rflexions juridiques, politiques et scientifiques de prendre la mesure de nos diversits et de tenter de les rendre intelligibles et de sorienter de logiques dexclusion des contraires vers des logiques de complmentarits des diffrences, il ne faut jamais oublier que tous les tres humains sont non seulement multiples, mais sont aussi des tres caractriss par la capacit de choix : de choisir plus ou moins consciemment ou inconsciemment laquelle de nos  identits  valoriser, quels aspect en nous entretenir, lesquels rejeter ou transformer  Linsistence, mme implicite, sur la singularit dnue de tout choix de lidentit humaine non seulement nous diminue tous, mais rend aussi le monde beaucoup plus inflammable.  nous prvient Amartya Sen (2007 : 16)[29].  Lalternative au caractre divisant dune catgorisation minente nest pas de prtendre que nous sommes tous pareils. Nous ne le sommes pas. Lespoir principal dharmonie dans notre monde agit rside dans la pluralit de nos identits, qui sentrecroisent et travaillent lencontre des divisions tranchantes autour dune seule ligne durcie dune division vhmente laquelle on ne saurait rsister. Notre humanit partage est sauvagement remise en question lorsque nos diffrences sont rduites par un unique et puissant systme de catgorisation. La pire dtrioration rsulte du fait de ngliger – voire de dnier – le rle de la raison et du choix, qui dcoule de la reconnaissance de nos identits plurales. Lillusion dune identit unique divise beaucoup plus que lunivers de classifications plurales et diverses qui caractrisent le monde dans lequel nous vivons de fait. La faiblesse descriptive dune singularit dnue de choix a pour effet dappauvrir de manire significative lacuit et la pertinence de notre raisonnement social et politique. Lillusion de destin a un trs grand prix.  (Sen 2007 : 16-17)[30].

 

Dans son exploration des enjeux de la culture entre dterminisme et libert de choix, Amartya Sen (2007 : 35-36) relve que  Largument, assez plausible, que lon ne saurait raisonner partir de nulle part est souvent prsent. Mais ceci nimplique pas que quelque soient les associations antrieures dune personne, celles-ci doivent demeurer incontestes, quelles ne peuvent pas tre abandonnes, quelles sont permanentes. Lalternative la vision de dcouverte[31] nest pas le choix partir dune position vierge de toute identit (comme semblent le sous-entendre certains polmiqueurs communautariens), mais des choix qui continuent exister dans les situations mmes qui sont marques par nos identits. Le choix ne ncessite pas de sauter quelque partir de nulle part, mais il peut mener se mouvoir dun endroit un autre. [32]

 

Nous proposerons au lecteur un cheminement, non pas sur une autoroute nous menant dun point A un point B de la manire la plus directe, la plus rapide et la plus balise, mais en empruntant diffrents chemins de traverse qui nous familiariseront petit petit avec le paysage du plurivers tout en nous faisant prendre conscience de plus en plus explicitement de notre point de dpart. Le lecteur ne sՎtonnera donc pas de certaines rptitions. Sil est vrai quelles rsultent en partie du fait que les chapitres de cet ouvrage sappuient sur des travaux publis au cours de ces dernires annes pour permettre leur auteur dexplorer les diverses facettes du plurivers, elles ont aussi un but pdagogique. Cest en rencontrant ces diffrents lments, tels que les cinq principes fondamentaux de la responsabilit, de la participation, de la traduction, du dialogue et du pluralisme, dans des contextes divers que le lecteur – du moins lespre lauteur – russira simmerger dans le plurivers et souvrir sa vision.

 

Cheminer vers le plurivers

 

Le premier chapitre, plus thorique, dpeignant le plurivers entre fatalit, utopie et alternative, visera poser les bases de notre vision. Il fournira en quelque sorte la carte de lecture pour les chapitres qui suivent, lhorizon o inscrire les explorations de cet ouvrage. Mais comment dcouvrir ce nouveau paysage ? Comment sy retrouver ? Ce sera lenjeu du chapitre 2 qui prsentera les enjeux mthodologiques et des voies dapproches du pluralisme, et ceci plus particulirement dans le domaine du droit et de la dcouverte des diverses cultures juridiques du monde et du pluralisme dont elles sont porteuses. Nous seront ainsi prpars et arms pour nous interroger sur la position du juriste face au plurivers de la gouvernance (chapitre 3) et sur les dfis que lui lance lidal de participation qui se trouve en son cur (chapitre 4). Ensuite, il sera temps de revenir un peu sur terre. Si les rflexions globales et gnrales sont utiles, il est bon de redescendre de temps en temps au local et des considrations plus pragmatiques. Sil est enrichissant, et primordial pour lanthropologue, de partir la dcouverte dautres cultures, il est aussi important de se pencher sur la sienne. Ainsi le chapitre 5 sera ddi aux manifestations du plurivers en Europe travers la question des enjeux des politiques publiques et de services publics europens face la diversit culturelle. Aurions-nous quelque chose apprendre de lexprience canadienne des  accommodements raisonnables  ? Quelles seraient des bases pour des politiques publiques europennes ouvertes linterculturalit ?

 

Les deux chapitres suivants noueront la question du pluralisme travers la problmatique des droits de lhomme et apporteront de nouveaux lments sur la responsabilit qui prpareront notre chapitre 8.

 

Le chapitre 6 indiquera des chemins pour dpasser le dilemme entre universalisme et relativisme en proposant un horizon pluraliste, dans lequel la notion de responsabilit – dj esquisse dans le chapitre sur la participation – jouera un rle important. Prendre conscience dautres fentres culturelles permet douvrir plus largement nos fentres rciproques sur le monde en nous enrichissant de la vision des autres et en la traduisant dans  notre monde . Mais, cela nous permet aussi dexplorer la diversit des fentres et leurs interactions. Le chapitre 6 rpondra plutt au premier versant de cette entreprise, le chapitre 7 au deuxime travers un dialogue avec le monde bouddhiste. En effet, le plurivers se manifeste diffrents niveaux. Sil est ncessaire de complter nos approches du Droit, par une approche renouvele de nos responsabilits, il faut tre conscient que la responsabilit nest pas plus transculturelle que le Droit (chapitre 8). Elle aussi a divers quivalents travers les cultures du monde. Il vaut la peine de se mettre leur coute pour enrichir notre propre vision.

 

Louverture amorce dans le chapitre 6 sera donc poursuivie dans le chapitre 7 – probablement le chapitre le plus dpaysant et le plus dstabilisant de tout cet ouvrage. Prenons-nous lide de responsabilit au srieux ? Acceptons-nous que la participation responsable de tous au vivre ensemble demande des appels et des rponses mutuelles (respondere) ? Que le dialogue interculturel ne consiste pas uniquement traduire lautre dans notre cadre de rfrence, mais aussi de comprendre dautres cadres de rfrence et dexplorer les entre-deux ? Si oui, il faut oser plonger dans des visions culturelles radicalement diffrentes. Au cours de la dernire dcennie, jai eu le bonheur de discuter avec de nombreuses personnes sur des conceptions bouddhistes et ce quelles pourraient apporter comme clairage nos questionnements sur la responsabilit, le droit et le vivre-ensemble. Ces discussions mont men petit petit identifier ce qui me semble tre des points clefs pour pntrer cette vision. Le lecteur les dcouvrira dans ce chapitre o il sagira de se poser la question non plus de savoir comment adapter ou non les droits de lhomme dans un contexte bouddhiste tibtain, ni de savoir si les bouddhistes tibtains connaissaient traditionnellement les droits de lhomme, mais de plonger dans leur vision et dessayer de la mettre en dialogue avec notre vision. dfaut de rponses toutes faites, ce chapitre permettra au lecteur de prendre conscience de lampleur de la tche du dialogue interculturel et illustrera ce que devraient dՐtre des dialogues avec les diverses visions culturelles de notre monde dans la vise dune laboration commune dun horizon daction partag.

 

Cet exercice douverture une autre culture politique et juridique prparera le terrain pour le dernier chapitre qui balisera un niveau existentiel le cheminement dialogal et pluraliste. Oser plonger dans des visions culturelles radicalement diffrentes, se mettre lՎcoute, mettre des mondes diffrents en dialogue nest pas facile. Au fil des annes et de mes tentatives de contribuer une ouverture interculturelle de nos thories et de nos approches du Droit, jai t confront la difficult de pouvoir approfondir, voire uniquement de fournir des bases indispensables pour de vritables dialogues interculturels[33]. Comment aller au-del du superficiel pour atteindre le cur du sujet ? Souvent, nous allons bien vite en besogne. Nous ne nous donnons pas le temps de nous immerger dans des mondes culturels radicalement diffrents et de mettre en place les conditions pour de vritables dialogues, changes et partages interculturels. Le chapitre 9 proposera un cheminement en dix tapes qui peut nous faire dcouvrir le plurivers. Le retour quil oprera vers nos vcus personnels est important pour que nos discussions sur le plurivers et une globalisation interculturelle et responsable ne restent pas  hors de nous , dconnectes de nos expriences directes de la ralit, mais senracinent dans nos vcus. Tant que nos vcus resteront monistes et aveugles au pluralisme, il est vain de tenter daborder le pluralisme de la globalisation. Le pluralisme nest ni intrieur, ni extrieur nous. Il est les deux, et au-del.

 

prs la rfraction du plurivers dans les mutliples facettes prsentes au cour de cet ouvrage, et aprs tre revenu notre propore exprience du monde, il me semble adquat de partager avec le lecteur, en pilogue, un cheminement pluraliste plus personnel, plus intime : celui de lauteur suivant sa voie, son Tao du dialogue.

 

Ouvertures

Vous laurez constat, cher lecteur, de passionnantes lectures vous attendent. Pour conclure cette introduction et ouvrir nos explorations, revenons lhistoire introductive du Mulla Nasrudin. Se pourrait-il quelle contienne aussi un autre enseignement que celui que nous avons mis en exergue au dbut de notre rflexion ? Aprs tout, le Mulla est clbre comme matre de folle sagesse[34]. Il nest pas fou au sens habituel du terme, mais agit dune manire qui interpelle et rvle une sagesse sous-jacente aux situations. Si nous voyons le bateau et son quipage comme les moyens que nous nous sommes donns pour naviguer sur le grand ocan de la vie, que nous indique cette histoire ? La vie nous dpasse. Elle dpasse les conceptualisations que nous pouvons en avoir, les plans que nous pouvons projeter sur elle. Il arrive quelle nous envoie des secousses, nous fasse vivre des chocs existentiels, parfois au niveau individuel, parfois au niveau collectif. La raction naturelle, autant individuelle que collective, est alors de sagripper ses certitudes, de ne surtout pas lcher prise sur les seules certitudes que nous avons Et pourtant La vie sera toujours plus forte. Peut-tre pourrions-nous apprendre lcher prise ? Peut-tre quՈ un niveau existentiel, le fait de lcher prise, de laisser le bateau de nos projections et intellectualisations couler pourrait nous ouvrir une manire dՐtre diffrente, moins peureuse, plus courageuse et compassionne pour ce qui est ? Le phnix doit dabord mourir pour pouvoir ressusciter... et redcouvrir peut-tre ainsi une nouvelle harmonie. Peut-tre en est-il de mme avec les tres humains, autant dans leurs aventures personnelles que collectives.

 

Enfin, une petite indication pour la lecture de cet ouvrage. Le lecteur aura constat que jusquici les dveloppements ont t agrments de nombreuses petites histoires. Il continuera trouver des histoires tout au long de son cheminement travers cet ouvrage et plus particulirement en chaque dbut de chapitre. Ce nest pas fortuit.

 

On raconte que lors de la creation du monde, Dieu prcipita Vrit sur la terre alors que Paix demeurait au ciel. Tous les anges du Ciel furent fort interpells et sinterrogeaient sur le bien fond dun tel acte !

 

  toutes ces interrogations, lՃternel a rpondu :

-       Si javais envoy Paix sur Terre avant Vrit, cela naurait eu aucun sens. Car, en vrit, il ne peut y avoir de Paix sans Vrit. Ainsi, ce sera dsormais lhomme de sonder la vrit afin que je puisse un jour lui envoyer la paix.

Ds lors, Vrit sest mise errer sur la Terre. Au commencement, elle sen allait pure et sans fard. CՎtait la vrit toute nue. Mais trs vite, elle sest dsespre de voir que plus elle viellissait et devenait une bonne vielle vrit, plus le monde la trouvait grotesque et indcente.

Un jour enfin, elle a rencontr Parabole, qui sen allait, toujours somptueusement vtue, entremlant falbalas et ornementations. Et lorsque Vrit lui a racont ses dboires, Parabole lui a rpondu :

-       Moi, cest tout le contraire ! Plus je vieillis, plus les gens mapprcient. coute, je vais te dire un secret – qui est dailleurs aussi une grande vrit. Personne naime que les choses soient prsentes de manire crue et nue. On les prfre soigneusement arranges, joliment enrobes. Laisse moi un peu te parer, et tu verras comment les gens se retourneront sur toi.

Et depuis, cest ainsi : on dit que Parabole habille Vrit. Elles marchent main dans la main. Et, aprs tout, pour les grands amoureux dhistoires que nous sommes, ce nest peut-tre pas si mal.

Car Parabole habille Vrit

Et Vrit apporte Paix.  (Fdida 2006 : 70-71)

 

Belles inspirations douverture vous tous, chers lecteurs, et bonnes dcouvertes sur les chemins de linterculturalisme et du pluralisme. Ces chemins contribueront, je lespre, ouvrir des espaces de paix, des espaces pour la paix, pour le dialogue et le partage. Vous y dcouvrirez, peut-tre aussi et entre autres, des fragments de votre propre humanit ! Le proverbe dit :  Le sage pointe du doigt la lune. Limbcile regarde le doigt.  Lors de la dcouverte de cet ouvrage, osez dtacher de temps en temps votre regard des textes, des argumentations et des concepts, et laisser les histoires qui vous accompagneront vous inspirer laissez glaner de temps en temps votre regard vers lhorizon vers lequel ils pointent !

 

 

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VACHON Robert, 1992, La nation Mohawk et ses communauts. Chapitre 2 : Cultures politiques : occidentale et Mohawk. Une mise en contraste, Interculture, n 114.

 

VACHON Robert, 1995a, Guswenta ou limpratif interculturel - Premire partie : Les fondements interculturels de la paix, Interculture, Vol. XXVIII, n 2, cahier n 127.

 

VACHON Robert, 1995b, Guswenta ou limpratif interculturel - Partie 1, Volet II : Un horizon commun, Interculture, Vol. XXVIII, n 3, cahier n 128, 43 p.

 

VACHON Robert, 1995c, Guswenta ou limpratif interculturel - Volet III : Une nouvelle mthode, Interculture, Vol. XXVIII, n 4, cahier n 129, 47 p.

 

VACHON Robert, 1997,  Le mythe mergent du pluralisme et de linterculturalisme de la ralit , Confrence donne au sminaire Pluralisme et Socit, Discours alternatifs la culture dominante, organis par lInstitut Interculturel de Montral, le 15 Fvrier 1997, 34 p. Consultable sur http://www.dhdi.org http://www.dhdi.free.fr/recherches/horizonsinterculturels/articles/vachonpluralism.pdf.

 

VACHON Robert, 2003,  Droits de lhomme et dharma , Interculture, 144 : 19-27.

 

 

 

 



[1] Exceptionnellement, 1 ne renvoie pas ici la page du livre, mais au Chapitre 1 du Tao Te King, les pages de cette traduction nՎtant pas numrotes, mais organises selon les chapitres du Tao Te King.

[2] Pour une premire introduction luvre de Robert Vachon voir Baxer 2007. Voir aussi mes deux interviews de Robert Vachon  Vivre linterculturel  (consultable http://youtu.be/m6au7_COR7s) et  Le mythe du pluralisme. La voie du dialogue interculturel  (consultable http://youtu.be/4knSFLCxDc0).

[3] Lextrait  coute et dialogue interculturel  de linterview Le Mythe du Pluralisme avec Robert Vachon ralis par Christoph Eberhard Montral le 10 Aot 2009 qui contient cette citation est consultable : http://vimeo.com/8691007 (la citation se trouve 4 minutes 50 secondes).

[4] Pour une premire introduction luvre de Raimon Panikkar voir Prabhu 1996 et Panikkar.

[5] Voir la srie Dialogues for Change sur http://www.youtube.com/DialoguesForChange.

[6] Voir dans ce contexte les Regards croises sur les Assises de linterculturalit qui se sont tenues en Belgique de 2008 2010 (Foblets & Schreiber 2013). Le rapport final des Assises de linterculturalit, publi en 2010, peut tre tlcharg sur http://www.belgium.be/fr/actualites/2010/news_assises_interculturalite_rapport_final.jsp.

[7] Voir dans ce contexte Joliot 2001, Koestler 1960, Kuhn 1994.

[8] Voir ce sujet et pour des illustrations concrtes Eberhard 2012a. Voir aussi Eberhard 2005a et 2008a.

[9] Voir, dans ce contexte, Panikkar 1982 et le numro spcial n 135 dInterculture (1998), paru loccasion du 35e anniversaire de lInstitut Interculturel de Montral et du 30e anniversaire de sa revue Interculture et intitul : LIIM et sa revue. Une alternative interculturelle et un interculturalisme alternatif.

[10] Cosmos, en grec, signifie  parure .

[11] La notion de personne a merg partir de la notion latine de persona qui dsignait dans la Rome antique, le masque que portaient les acteurs dans les tragdies. Cest extrmement interpellant dans notre rflexion sur le plurivers. En effet, renouer avec les origines de la notion de personne nous en fait percevoir la ralit fondamentalement pluraliste, qui est occulte dhabitude par la conception moniste qui sest dveloppe au fil des sicles de lhistoire occidentale (voir Mauss 1995).

[12] Sur ces questions, voir tous les enjeux dune dmarche diatopique et dialogale et de la recherche dՎquivalents homomorphes dune culture lautre. Pour une introduction voir Eberhard 2011 : 157 ss.

[13] Des informations sur lIIM, ses projets et sa revue Interculture sont disponibles sur http://www.iim.qc.ca/. Lentiret de la collection dInterculture est aussi accessible en version PDF sur le site.

[14] Pour une illustration de ces enjeux, voire mes deux interviews de Darshan Shankar Discovering Traditional Knowledge (consultable sur : http://youtu.be/BCbI01ZyMz4) et Modern Science and Traditional Knowledge (consultable sur http://youtu.be/8PRpy85elVA) et celle de Ananda B. Bhavanani Yoga and Medicine (consultable sur http://youtu.be/_UwtWXfgh3M). Ces interviews illustrent de manire exemplaire les enjeux du dialogue entre pistmologies qui valorisent des approches holistiques et celles qui mettent plus laccent sur les parties. Le fait de valoriser le tout ou la partie donne un point de dpart trs diffrent aux pistmologies qui en rsultent. Les mettre en dialogue oblige alors de construire consciemment des modles pour la rencontre et lenrichissement mutuels. Pour une illustration des enjeux de la revitalisation des systmes de savoirs traditionnels lՎpoque contemporaine travers lexemple des systmes de sant indiens voir mon interview avec Darshan Shankar Revitalising Indian Health Traditions (consultable sur : http://youtu.be/kamNFQ8HOLc).

[15] Pour approfondir ces questions voir par exemple Eberhard 2002a, 2002b et 2006.

[16] Voir ce sujet la critique que formulait Serge Latouche relativement mon argumentation pour une approche cosmothandrique des droits de lhomme (Eberhard 1999b) dans sa  Prsentation  du numro du MAUSS, n 13/1999, Le retour de lethnocentrisme. Purification ethnique versus universalisme cannibale, p 17. Voir aussi mes dveloppements dans Droits de lhomme et dialogue interculturel sur la  rhtorique du dialogue  (2002 : 100 ss).

[17] Le lecteur curieux ou qui ne serait pas au courant de ces distinctions peut se reporter pour une entre en matire Panikkar 1978 et 1984 ; Vachon 1990b et 1995c. Pour lapplication de lapproche dialogale et une explicitation de ses apports et enjeux en thorie du droit voir plus particulirement Eberhard 2001, 2002a, 2003 et 2011.

[18] While the sociology of absences expands the realm of social experiences already available, the sociology of emergences expands the realm of possible social experiences. The two sociologies are deeply interrelated because the more experiences that are available in the world, the more experiences will be possible in the future. The ampler the credible reality, the wider the field of credible clues and possible, concrete futures. (de Sousa Santos 2004 : 176). Toutes les traductions des originaux en franais dans cet ouvrage sont les miennes.

[19] Pour des approfondissements de ce principe sur notre pense du Droit et de lautre voir Eberhard 2002a : 108 ss ; Eberhard 2011 : 157 ss.

[20] Modern Western thinking is an abyssal thinking. (de Sousa Santos 2007 : 45).

[21]  It consists of a system of visible and invisible distinctions, the invisible ones being the foundation of the visible ones. The invisible distinctions are established through radical lines that divide social reality into two realms, the realm of this side of the line and the realm of the other side of the line. The division is such that the other side of the line vanishes as reality, becomes nonexistent, and is indeed produced as nonexistent. Nonexistent means not existing in any relevant or comprehensible way of being. Whatever is produced as nonexistent is radically excluded because it lies beyond the realm of what the accepted conception of inclusion considers to be its other. What most fundamentally characterizes abyssal thinking is thus the impossibility of the copresence of the two sides of the line. To the extent that it prevails, this side of the line only prevails by exhausting the field of relevant reality. Beyond it, there is only nonexistence, invisibility, nondialectical absence. (de Sousa Santos 2007 : 45-46).

[22] Voir par exemple pour une analyse rcente en lien avec les enjeux dune approche moins ethnocentrique de la globalisation Randeria & Eckert 2009.

[23] Modern abyssal thinking excels in making distinctions and in radicalizing them. However, no matter how radical such distinctions are and how dramatic the consequences of being on either sides of such distinctions may be, they have in common the fact that they belong to this side of the line and combine to make invisible the abyssal line upon which they are grounded. The intensely visible distinctions structuring social reality on this side of the line are grounded on the invisibility of the distinction between this side of the line and the other side of the line. (de Sousa Santos 2007 : 46).

[24] Voir sur cette question les analyses trs pertinentes de Ashish Nandy 1983.

[25] Ce Livre Blanc a t lanc par les Ministres des Affaires trangres du Conseil de lEurope lors de leur 118me session minsitrielle, le 7 mai 2008.

[26] Le lecteur sera peut-tre intress par les dveloppements dans Eberhard 2002a (ou 2011 pour une version revue et augmente) pour saisir le lien entre approche pluraliste et dialogue interculturel et lenracinement universaliste si typique de la  pense europenne . Comme je lexplique dans cet ouvrage, toute la dmarche que je prsente pour repenser les droits de lhomme dans le dialogue interculturel sinscrit et puise dans le legs universaliste occidental tout en essayant de partiellement le dpasser et en restant conscient que quelque soit le degr douverture auquel on pourra parvenir partir de notre fentre, celle-ci nen restera toujours quune parmi dautres. Ceci peut sembler la  rduire , mais on peut aussi en tirer la conclusion que toute fentre, toute vision tant limite, elle est en mme temps ce qui nous permet de voir, de comprendre et dՎchanger avec dautres fentres – elle est donc aussi extrmement prcieuse.

[27] () stems thus from the idea that the diversity of the world is inexhaustible and that such diversity still lacks an adequate epistemology.   In other words, the epistemological diversity of the world does not yet have a form. (de Sousa Santos 2007 : 65).

[28] Nous y reviendrons tout au long de cet ouvrage et plus particulirement dans le chapitre premier et dans nos rflexions relatives aux droits de lhomme.

[29] The insistence, if only implicitly, on a choiceless singularity of human identity not only diminishes us all, it also makes the world much more flammable. (Sen 2007 : 16).

[30] The alternative to the divisiveness of one preeminent categorization is not any unreal claim that we are all much the same. That we are not. Rather, the main hope of harmony in our troubled world lies in the plurality of our identities, which cut across each other and work against sharp divisions around one single hardened line of vehement division that allegedly cannot be resisted. Our shared humanity gets savagely challenged when our differences are narrowed into one devised system of uniquely powerful categorization. Perhaps the worst impairment comes from the neglect – and denial – of the role of reasoning and choice, which follows from the recognition of our plural identities. The illusion of unique identity is much more divisive than the universe of plural and diverse classifications that characterize the world in which we actually live. The descriptive weakness of choiceless singularity has the effect of momentously impoverishing the power and reach of our social and political reasoning. The illusion of destiny exacts a remarkably heavy price. (Sen 2007 : 16-17).

[31] Il entend par l lide quil sagirait avant tout de  dcouvrir nos identits .

[32] The point is often made, plausibly enough, that one cannot reason from nowhere. But this does not imply that no matter what the antecedent associations of a person are, those associations must remain unchallenged, unrejectable and permanent. The alternative to the discovery view is not choice from positions unencumbered with any identity (as some communitarian polemicists seem to imply), but choices that continue to exist even in any encumbered position one tends to occupy. Choice does not require jumping out of nowhere into somewhere, but it can lead to a move from one place to another. (Sen 2007 : 35-36).

[33] Voir sur ce problme les introductions Eberhard 2007, 2008b et ma prface Eberhard 2011.

[34] Pour une introduction au personnage de Mulla Nasrudin et aux histoires denseignement dont il est le hro voir Shah 1971 : 63 ss.